Oui, vos données sont précieuses
On n’a beau qu’être de personnes lambda, qui n’ont rien à nous reprocher[1] ou à cacher[2], nos données personnelles restent précieuses quand-même, aux yeux des Gafam notamment.
Pourquoi ? Comment ?
Pour les Gafam (Google, Amazon, Facebook, Apple, Microsoft, bref, toutes les boîtes du numérique qui font leur blé en ligne et bien souvent gratuitement), nos données sont leur modèle économique.
Google est gratuit. Facebook aussi. Twitter, Instagram et Youtube également. Pourtant leurs bénéfices net se chiffre en milliards de dollars. J’en ai déjà parlé.
Ce fric leur est donné par les marques qui vendent des trucs (Coca-Cola, Nike, Renault… bref n’importe qui possédant des trucs à vendre). Ces marques payent Google ou Facebook pour qu’ils affichent des pubs sur les écrans des internautes. L’internaute, intéressé par la pub, va cliquer et acheter le produit, et voilà l’argent qui rentre.
Tout le monde est content et l’internaute a dépensé son fric.
Mais pourquoi « nos données » ?
La télé vit avec la pub, pourtant elle n’exploite pas nos données ! Un panneau publicitaire non plus !
Eh bien… La télé envoie une pub identique à tout le monde. Or, tout le monde n’est pas intéressé par tel ou tel produit.
Un couple sans enfants s’en fiche des pubs pour les couches pour bébé. Un retraité se fiche des pubs pour les fournitures scolaires.
C’est là qu’intervient le profilage, principalement sur internet : le profilage permet d’associer une personne (vous) à vos préférences. Comme ça, vous aurez des pubs ciblées : en gros, le couple sans enfants n’aura plus de pubs pour des couches mais autre chose.
Comment ?
Eh ben grâce à vous ! Par exemple, Coca-Cola fait une page Facebook et des gens vont « liker ». Hop, voilà du monde qui aimera les pubs pour les nouveaux produits de la marque. Idem pour la page « Nike », « Renault », et ainsi de suite.
Bien-sûr, ici vous avez sciemment liké la page en question. Il n’en reste pas moins que ce « like » innocent est exploité par Facebook. Il en va de même quand vous renseignez votre école, votre travail (pratique pour vous afficher la publicité de la pizzeria du coin tous les midis), vos sports préférés (pour afficher les pubs pour les maillots ou les matchs), les hobbies…
Autre exemple, moins direct : Google. Google connaît vos requêtes.
Si vous cherchez plusieurs fois dans le mois « suis-je enceinte ? », « comment tomber enceinte ? », « test de grossesse » ou ce genre de choses, il vous affichera les annonces, au choix :
- des couches pour bébé (oui encore)
- des tests de grossesse
- des sages-femmes à domicile
- …
Ce cas-là est déjà arrivé en vrai : une jeune fille a commencé à adopter des habitudes de consommation proches des femmes enceintes. Quelques jours après, paf, elle reçoit des coupons de réduction pour des produits bébé : les algos de profilage de son supermarché avaient fait le lien et lui a envoyé des coupons par la poste. Je ne vous explique pas la gueule des parents : son supermarché savait qu’elle était enceinte avant ses propres parents !
Encore un autre exemple : votre voisin, qui aura cherché « tondeuse pour gazon », aura des annonces pour des tondeuses, des tailles haies, etc.
Là aussi, ces annonces seront nettement plus pertinentes pour lui, il aura beaucoup plus tendance à cliquer et à acheter. En somme : l’annonce a bien plus de chance de fonctionner et de « forcer » l’internaute à dépenser son argent !
En profilant chaque internaute, Google connaît l’historique de tout le monde : Google sait qui est qui, qui cherche quoi et qui veut quoi, et il affichera les annonces en conséquence, afin de maximiser l’efficacité des annonces.
Et avec des annonces plus efficaces que ses concurrents, Google peut exiger davantage de pognon de la part des marques. C’est comme ça qu’il gagne tous ces milliards.
Allons plus loin encore.
Si vous cherchez « restaurant à Lyon » alors que votre IP est située à Paris, Google peut en déduire que vous êtes en voyage. Il va donc vous proposer :
- des annonces de train Paris-Lyon ;
- des hôtels ;
- des choses à faire à Lyon.
- …
Même si à l’origine vous êtes juste de passage dans cette ville, vous serez peut-être intéressé par les annonces, vous cliquerez et vous irez dépenser votre argent.
Google, grâce à sa présence dans Android, connaît votre position (grâce au GPS), et peut recroiser ça avec vos recherches dans Google Maps. Google sait où vous êtes, ce que vous cherchez. Avec Google Pay, il sait ce que vous achetez et vos habitudes de consommation. Il peut donc sans cesse vous proposer des annonces pertinentes.
Et ceci partout : dans les résultats de recherche, sur vos blogs préférés qui diffusent des pubs via Google Adsense (leur régie publicitaire), sur Youtube, dans Google Maps, dans Android Auto directement dans votre voiture, dans GMail…
Encore plus loin ?
Google veut tout savoir de vous : il connaît votre position, il connaît vos recherche, il lit vos mails, il répertorie vos contacts (e-mail, SMS…), il connaît votre agenda, il connaît votre « todo-list » et votre liste de courses, sait où vous allez avec Google Maps, analyse vos fichiers sur Google Drive (dont vos fiches de paie, vos factures, vos relevés bancaires, si elles-y sont).
Plus ils en savent sur votre passé, plus ils savent ce que vous allez faire et où vous allez vous rendre… et plus ils pourront vos affiches des pubs ciblées et pertinentes.
Flippant ? Oui.
Est-ce un mal ? Oui et non.
Oui, car vous êtes sans cesse soumis à la tentation de dépenser plus d’argent que vous ne voudriez.
Non, car une bonne pub bien ciblée peut vous faire acheter exactement ce que vous recherchez et vous faire gagner du temps.
Bon alors ? On s’en fout ?
Non.
Car tout est prétexte à faire du profit, même des choses nettement moins éthiques, et c’est bien là le problème !
« Tout ce que vous faites pourra être retenu contre vous »
Google sait où vous êtes, où vous allez et à quelle vitesse vous roulez (merci votre téléphone avec un GPS).
Il sait ce que vous mangez (merci Google Pay, ou vos photos).
Ces données ne sont pas juste stockées chez eux.
Google vend ces données à d’autres entreprises.
Qui peut bien être intéressé par les routes que vous empruntez et votre vitesse ? Au hasard : votre assureur auto ! Si vous roulez trop vite, ils ajouteront ça à votre dossier et votre prime « personnalisée » sera plus chère.
Qui peut bien être intéressé par le fait que vous recherchez des produits de luxe sur Internet ? Qui peut bien être intéressé par les photos Facebook de votre garage plein de matériel de jardin assez cher ?
Les démarcheurs qui veulent vous vendre des caméras de surveillance ou des systèmes de sécurité. Ils viendront toquer chez vous et vous diront que — par exemple tout à faire au hasard — le matériel de jardin est très sujet aux cambriolages en ce moment et dans votre quartier.
Et vous signerez. Et vous payerez.
Sinon, les impôts aussi : ils sont très intéressés par votre train de vie. Vous saviez, vous, que Al Capone, le fameux baron de la drogue, avait été arrêté pour fraude fiscale et non pour trafic de drogue ? Bah maintenant oui : son train de vie l’a trahi, alors qu’il faisait autrement très attention. Votre train de vie peut aussi vous trahir. Car oui, le fisc se balade sur les réseaux sociaux, analyse vos photos publiques et cherchent des indices trahissant vos trains de vie qui ne collent pas à vos déclarations.
Qui peut bien être intéressé par le fait que vous êtes allé 6 fois au McDo ce mois-ci et que vous n’achetez jamais de légumes ?
Votre banque : est-ce qu’ils seront aussi enclins à vous accorder un prêt sur 30 ans ou une assurance-vie si vous ne courrez jamais, roulez vite et allez au McDo tous les deux jours ? Bref, si vous êtes sujet à des soucis de santé ?
Dans ce cas, votre banque aimerait beaucoup connaître vos habitudes et votre état de santé, justement pour éviter de prêter du fric à quelqu’un qui risque de mourir et ne jamais pouvoir vous le rendre…
Bref, toutes vos données sont exploitables et tout sera retenu contre vous : votre banque ou votre assurance ne sont pas votre ami.
Et ce ne sont que quelques exemples…
Maintenant, comme je dis souvent : si quelque-chose est techniquement faisable, alors ça sera fait tôt ou tard.
En l’occurrence : est-ce possible pour Google de tout savoir sur vous ? Oui.
Y a-t-il des entreprises qui seraient être à payer Google pour récupérer ces informations ? Oui !
Est-ce possible que Google vende ces données ? Oui.
Suffit de vous poser les bonnes questions, comme :
- est-ce que j’aimerais que mon assureur sache telle ou telle chose ?
- ou mon banquier ?
- ou l’État ?
Si la réponse est non, alors faites gaffe : ce que vous demandez dans votre moteur de recherche, ce que vous envoyez par e-mail, ce que vous prenez en photo et envoyez à Facebook ou Twitter, ça termine dans les algorithmes et c’est vendu au plus offrant.
Les bandeaux « nous respectons votre vie privée », c’est du flan. Votre vie privée, c’est leur business. Ils ne vont pas s’asseoir dessus.
Pour conclure
Oui, vous êtes une personne lambda.
Mais oui, vos données, vos habitudes, sont intéressantes pour certaines personnes, certains organismes.
Un smartphone avec GPS, c’est pratique. Mais sur ce smartphone tourne Google, Facebook, Instagram, l’application de votre Banque, celle de votre assureur, votre supermarché, votre gouvernement ou votre ambassade…
Toutes ces applications peuvent capter ces données et les conserver, puis le revendre à qui les veut. Votre banque-assurance sait ce que vous achetez régulièrement. Ceci intéresse les publicitaires comme Google. Google sait où vous êtes et Facebook sait ce que vous faites, et ceci intéresse les banques-assurances.
Vous voyez le business ?
Parfois ça peut-être pratique : c’est toujours mieux de trouver une annonce qui correspond pile-poil à ce que l’on recherche. Et encore : parfois on achète des choses pas franchement utiles et on dépense son argent alors qu’on est déjà dans le rouge.
Mais souvent, très souvent, les utilisations faites de vos informations personnelles sont nettement moins bienveillantes à votre égard, même si cela n’est pas visible au premier abord
Le fric n’a pas de limites : s’il y a moyen de faire du blé sur votre dos, ça sera fait.
Votre banque sera ravie d’économiser le risque de vous accorder un prêt, s’il sait que vous faites des choses dangereuses.
Que faire ?
À notre niveau, à moins de vivre sans technologie, vous serez profilé pour des besoins publicitaires.
On peut limiter la casse cependant :
- ne plus utiliser les Gafam, pour ne plus leur donner vos infos qu’ils vont revendre. C’est pas simple, mais on peut au moins faire attention à ne pas tout leur donner sur un plateau ;
- paramétrez ou choisissez vos applications en fonction de leurs permissions : votre application calculatrice veut accéder au GPS et au réseau ? Ce n’est pas normal. Votre application météo veut la liste de vos contacts et lire vos SMS ? Ce n’est pas normal. Évitez ces applications-là et prenez en d’autres ;
- paramétrer vos navigateurs pour qu’ils bloquent les trackers et cookies publicitaires, qui participent justement à permettre tout ce profilage ;
- ne pas acheter de Google Home ou d’autres assistances vocaux : ces trucs enregistrent tout 24/7 et font de l’analyse sur ça. Faites le test : si vous n’avez pas de chien, prononcez plusieurs fois « croquettes pour chien » devant le Google Home chez vous. Dans pas longtemps, Facebook ou Amazon vous proposeront des pubs pour des croquettes.
Enfin, je ne suis pas là pour juger : utilisez Facebook et Google, installez Instagram, ou l’appli McDo ou celle de votre banque, si ça vous chante. Je ne vis pas hors des Gafam non plus.
Acceptons que EDF analyse vos habitudes de consommation électrique et sache si vous respectez bien le couvre-feu ou le confinement : on n’a pas le choix.
Je suis juste là pour vous présenter une réalité invisible : celle du business des informations personnelles. Celui qui permet à des entreprises comme Google ou Facebook de rapporter des dizaines de milliards de dollars chaque trimestre avec des produits gratuits pour nous.
PS : je prends majoritairement l’exemple de Google ici, car il parle bien.
Mais tous les Gafam font pareil : L’application Facebook a accès à votre liste de contacts et votre GPS, il analyse vos photos, vos likes, et les pages web que vous visitez. Ils en savent tout autant. Idem pour Twitter. Idem pour Linkedin. Idem pour toutes les applications avec une liste longue comme le bras de permissions. Et toutes font du fric grâce à ça, au moyen d’une application gratuite, souvent.
Notes :
[1] : Même si vous ne vous reprochez rien, sachez que ce n’est pas toujours vous qui décidez ce qui est reprochable.
[2] : On a tous une vie privée, des choses qu’on n’aimerait pas voir divulguées à tout le monde.