Les récents évènements concernant la centrale de Fukushima-Daiichi au Japon me permettent de revenir sur une question qui m'avait été posée il y a quelques temps : c'est quoi le projet ITER, centrales nucléaires du futur ?

ITER = Réacteur thermonucléaire expérimental international. Il s'agit d'un projet auquel participent plein de pays (USA, Japon, UE, Inde…) qui vise à étudier la possibilité de créer une centrale (basée à Cadarache en France) ayant pour source d'énergie la fusion plutôt que la fission nucléaire.

Fusion / Fission

Les centrales actuelles utilisent la fission nucléaire d'atomes radioactifs comme source d'énergie. En gros, quand un atome est trop gros, comme c'est le cas pour l'uranium ou le plutonium, il se désintègre en deux atomes plus petits avec un dégagement d'énergie.

fission nucléaire
La fission ↑

Les centrales récupèrent simplement l'énergie libérée par une très grande quantité d'uranium pour en faire de l'électricité.

Dans l'ITER, la source d'énergie sera au contraire la fusion thermonucléaire : ici, on prend deux petits atomes pour les fusionner en un seul, plus gros. Il y a également une libération d'énergie.

fusion thermonucléaire
La fusion ↑ (2)

Contrairement à la fission qui est spontanée, la fusion ne se fait pas toute seule (1) : deux noyaux d'atomes ne peuvent fusionner que si l'on apporte de l'énergie. Pour l'ITER, on espère récupérer 10 fois plus d'énergie qu'on en donne : ça promet d'être très rentable (un petit calcul me donne que 1 kilogramme de matière à fusionner produit autant d'énergie que 70'000 tonnes de TNT).

Pour faire simple donc :
  • Fission : on attend qu'un atome se brise pour récupérer l'énergie libérée lors de la désintégration.
  • Fusion : on colle deux atomes nous même pour n'en former qu'un seul, et on récupère au passage l'énergie produite.

Pourquoi utiliser la fusion plutôt que la fission ?

On le sait, un gros atome radioactif (comme l'uranium) qui se désintègre produit deux atomes plus petits et de l'énergie. Le problème c'est qu'il y a en plus une émission de rayonnements et de particules (Alpha, Beta, Gamma…). Ces particules sont ionisantes : quand elles traversent par exemple un tissu organique, elles détruisent les cellules qui peuvent alors ne plus fonctionner voire même devenir cancéreuses.
Cette radioactivité est naturelle, et se produit en faible quantités partout autour de nous (Radon, carbone 14, …) et c'est à haute dose qu'elle peut-être dangereuse.

Le premier problème de la fission, c'est que les "petits" atomes produits sont eux aussi radioactifs, et se désintègreront à leurs tours ! Et ainsi de suite… Il faut attendre des millions d'années pour obtenir enfin un atome stable.
On parle alors de déchets radioactifs, car l'énergie produite n'est pas exploitable mais les éléments sont dangereux quand même.

Le second problème c'est que la fission est spontanée : un atome d'uranium se désintègre tout seul. Il produit des particules (des neutrons) qui vont désintégrer d'autres atomes, libérant d'autres neutrons et ainsi de suite : c'est une réaction en chaine. Dans les centrales, cette réaction est maitrisée : on sait éviter l'emballement du réacteur en absorbant le surplus de neutrons.

L'utilisation de la fusion nucléaire apporte quelques solutions à ces problèmes !

L'avantage de la fusion nucléaire

Le problème de la réaction en chaine est résolue : vu qu'il faut obligatoirement apporter une énergie au départ, il n'y pas de risques qu'une centrale explose quand elle n'est pas en service. S'il y a emballement de la réaction, il suffit alors de couper l'apport d'énergie et la réaction s'arrête. Un peu comme quand on fait cuire quelque chose : la cuisson (une réaction chimique) se fait avec apport d'énergie (de la chaleur). Si votre tarte brûle au four, il suffit de couper le gaz et ça s'arrête.

Le problème des déchets est résolu aussi : alors que l'uranium qui se désintègre produit des déchets eux aussi radioactif, la réaction de fusion est la suivante :
3H + 2H → 4He + 1n + énergie

Comme vous voyez, on utilise des isotopes de l'hydrogène pour produire de l'hélium et un neutron. L'hélium est totalement propre. Seule subsiste un neutron, qui peut éventuellement réagir avec l'hélium pour former du lithium, radioactif mais moins longtemps que les déchets de l'uranium.

Pourquoi ne pas y avoir pensé avant alors ?

En effet… Le principe est là, connu depuis les années 1950. Mais la seule réaction qu'on a pu faire, c'est la fusion non-contrôlée : celle ayant lieu dans les bombes H, les plus puissantes bombes existantes.

En fait, pour amorcer la fusion il faut apporter de l'énergie. Dans les bombes à fusion nucléaire (les bombes H), elle est fournie par… une bombe A (bombe à fission), suffisamment puissante pour apporter l'énergie de départ.
La quantité d'énergie à apporter est colossale : il faut chauffer les éléments à des températures de l'ordre de 100'000'000°C.

En plus de la difficulté à obtenir cette température elle même (6 fois plus importantes qu'au cœur du soleil), il faut savoir la contenir : aucune enceinte, aucun matériau ne resterait à de telles températures, sans elle mêmes fondre voire fusionner…

Le principe de l'ITER

L'ITER se veut donc un projet pour voir la faisabilité de la production d'électricité avec la fusion nucléaire. Et avant d'avoir de l'électricité, il faut produire une fusion. Pour cela il faut des très hautes températures.

La centrale utilise un appareil nommé Tokamak (ça vient du russe et signifie « chambre toroïdale à bobines magnétique »). En gros, ça crée un champ magnétique intense qui va éloigner la matière de la paroi de la chambre et l'accélérer dans un tore (3). On utilise ensuite l'effet Joule (4) pour chauffer.
À cette température, la matière gazeuse devient un plasma : un bain d'électrons dans lequel se trouvent les noyaux (alors que d'habitude, les électrons sont solidaires du noyau). Du fait de la haute température, les noyaux se heurtent si rapidement (énergie cinétique) qu'elle peuvent fusionner.

Suffit ensuite de récupérer l'énergie.

En résumé : un accélérateur de particules (le tokamak) permet avec son champ magnétique d'éloigner la matière à fusionner des parois de la chambre ; un courant électrique très important chauffe le la matière qui devient un plasma ; chauffer encore (100'000'000°C) et la vitesse des particules sera suffisante pour qu'un choc entre deux noyaux entraine la fusion, libérant de l'énergie.


  1. il y a ce qu'on nomme la barrière coulombienne : deux noyaux d'atomes ne peuvent pas s'approcher l'un de l'autre à cause de la répulsion électrique (force de Coulomb). Mais une fois qu'elles sont assez proches, elle se collent l'un à l'autre grâce à l'interaction forte. (L'interaction forte l'emporte sur la répulsion électrique quand les distances sont très proches.)
  2. voui, il manque les neutrons émis sur le schéma, mais j'ai voulu simplifier.
  3. le "tore" est une figure géométrique qui a la forme d'un pneu ou d'un anneau. Si un ballon est une sphère, un pneu est un tore, voilà.
  4. l'effet Joule, c'est l'échauffement due au passage d'un courant électrique.